samedi 26 novembre 2011

L'histoire des historiens Bossuet et Saint-Simon par Jean-Michel Delacomptée


Jacques-Bénigne Bossuet, Musée du Louvre

 «  Par le secours de l’histoire, ils forment leur jugement ». C’est ainsi que Jacques-Bénigne Bossuet adjoint aux princes de connaître l’Histoire.  Le précepteur de Louis de France, fils de Louis XIV, tout emplit d’une connaissance encyclopédique, père de nombreuses conversions, adulé pendant plus de trois siècles après sa mort, n’est cependant plus dans l’Histoire que notre époque a retenu.
Une Langue Morte, celle de Bossuet, Jean-Michel Delacomptée s’interroge. Les sermons et autres discours sur l’Histoire du prêtre sortent du temps par l’universalité du propos, d’où la fonction pédagogique à usage du Dauphin s’efface pour s’adresser au plus grand nombre. 
Malgré l’érudition historiographique et la qualité évidente de la conduite spirituelle de ces textes,  notre intérêt pour eux s’est amoindri. A qui la faute ? Est-ce l’état ambiant de stupeur intellectuelle  dont souffre notre temps, ou alors le désintéressement persistant envers toute forme de métaphysique qui est en cause? Les deux raisons semblent jouer. Mais comment alors redonner le goût à nos contemporains pour Jacques-Bénigne Bossuet ?
Jean-Michel Delacomptée propose un détour astucieux qui s’appuie sur un défaut,  et pas des moindre, de notre temps, et que l’on pourrait abusivement nommer, voyeurisme. Entendez par là notre goût pour toutes les affaires privées des personnes célèbres. Ainsi, l’auteur tire un portrait intime du prédicateur dans une langue rebondit et généreuse d’intrigues dont la richesse historiographique semble tout droit sortir d’un récit de Saint-Simon.
C’est d’ailleurs avec ce deuxième auteur que Jean-Michel Delacomptée nous offre une nouvelle démonstration de ses talents d’historien. La grandeur de Saint-Simon, face à la médiocrité des intrigues de la Cour de Louis XIV, ne doit pas caché les états d’âme d’un homme pour qui la nature ne fut pas généreuse et dont l’esprit n’en fut pas moins grandiose.
Deux historiens historiés avec talent, c’est le programme que nous propose Jean-Michel Delacomptée et que nous ne saurions que trop vous conseiller.
Pour agrémenter ces lectures, n’hésitez pas également à découvrir la courte, mais piquante lettre de Fénelon adressée à Louis XIV, que les éditions Bartillat ont eu la bonne idée de rééditer dernièrement.

A lire :
A écouter :

lundi 7 novembre 2011

Mélodies de la Mélancolie, Patricia Petibon, 5 novembre 2011, Salle Pleyel


Le titre est erroné, ou presque. Gardons les Mélodies de la Mélancolie, de Nicolas Bacri. Habituée des explorations musicales et des effets théâtraux, la soprano colorature avait su nous séduire par ses interprétations vivantes  et pleines d’énergie d’Offenbach, Gluck ou encore Mozart*. La voix particulière, qui prend toute son ampleur dans les registres les plus aigus, peine à convaincre dans le médium. Certes la démarche est intéressante, et il semble qu’un programme de musique espagnole ait pu convenir à la chanteuse. La présence sur scène et la poigne sont là, la voix, elle, n’est vraiment pas à l’aise. Dommage.
Certes, le début de cet article ne dresse pas un bilan très positif, n’en déplaise aux fans de la chanteuse qui étaient venus en nombre à la salle Pleyel et qui ne partagent peut-être  pas mon opinion. Alors, rattrapons cela et parlons de ce qui était positif dans ce concert. A savoir, la première française des Mélodies de la Mélancolie de Nicolas Bacri. Ces quatre chansons, spécialement composées à la demande de Patricia Petibon pour apparaître dans son dernier album, ont eu de quoi séduire.
Tout d’abord, la voix de la chanteuse était (enfin) dans son registre. Ensuite, le compositeur n’a pas manqué à sa parole et nous a effectivement dépeint un portrait de la mélancolie très convaincant. A la mar (A la mer) ; Silencio mi niño (Tout doux, mon enfant), Hay quien dice (Certains disent), Sólo (Seulement), on ne peut pas être plus dans le sujet.

Pour cela, le compositeur utilise des procédés simples, mais efficaces. Arrêtons-nous un peu sur la première mélodie A la mar. Le mouvement ternaire perpétuel sur deux accords nous emporte sur la surface ondulante de l’eau. On y retrouve le procédé d’écriture de Bach, dans le premier mouvement de la Passion selon Saint-Jean. C’est également le cas pour les cris de la soprano, qui s’approchent des premiers « Herr » de la Passion. Cri de l’Homme impuissant face au cycle de la nature qui l’emportera. Bacri simplifie le continuo, et pousse le naturalisme jusqu’à nous faire entendre un cri de la mouette su un iAy (Hélas) qui nous prend aux tripes. On se retrouve sur le dos de Jonathan Livingston le goéland, tel que le décrit Richard Bach (encore un Bach) dans son livre du même nom, savourant jusqu’à l’ivresse la liberté des airs, le cœur serré d’être seul à goûter ce délice. C’est poignant et splendide.
 L’influence est tout autre dans Hay quien dice. L’écriture est résolument plus moderne. Le chant se rapproche plus de celui d’une Lulu de Berg (rôle que Patricia Petibon a d’ailleurs brillamment incarné récemment dans la mise en scène d’Olivier Py). La détresse sur vergüenzas, crueldades en cuentas de amor est puissamment délicieuse.
Ces démonstrations de chant et d’expressivité vocale réconcilient avec le reste du concert. L’audace musicale de Patricia Petibon peut donc produire le meilleur comme le pire. Jetons le pire, gardons le meilleur et espérons que le prochain programme sera plus en adéquation avec la très belle, mais aussi très exigeante voix de la soprano.

* Voyez par exemple l’enregistrement de l’air de la reine de la nuit de La Flûte Enchantée de Mozart, chantée par Patricia Petibon, que l’on retrouve dans son album Amoureuses.







dimanche 6 novembre 2011

A la recherche des Mays de Notre-Dame de Paris



Qui n’a jamais rêvé de découvrir un chef-d’œuvre au coin d’une pièce oubliée ? Qui n’a jamais eu envie d’identifier la toile d’un grand maître dans une chapelle sombre ? Nous sommes beaucoup à rêver à de telles découvertes. Et si je vous donnais la piste d’une grande chasse au trésor, qui commencerait dans la plus fameuse des cathédrales, Notre-Dame de Paris.
Le Crucifiement de Saint-Pierre, Sébastien Bourdon,
Notre-Dame de Paris, 1643
L’objet de notre recherche : 23 huiles sur toile de plus de 10 mètres de haut ayant pour thème des scènes des Actes des Apôtres, peintes par les meilleurs artistes du XVIIe siècle.
Si vous cherchez de quoi je parle, allez à Notre-Dame de Paris, franchissez les barrières des premières chapelles latérales sud, et contemplez. Ces grands tableaux poussiéreux et mal éclairés que vous avez devant vous sont des Mays. Vous en avez 13 dans la cathédrale. Peut-être n’en avez-vous jamais entendu parler. Et pourtant, ce sont des chefs-d’œuvre, injustement oubliés.
L’ensemble des Grands Mays de Notre-Dame de Paris était composé de 76 toiles, mesurant toutes plus de 10 mètres de haut, réalisées entre 1630 et 1707. Parmi les peintres qui ont réalisés ces toiles, vous retrouvez nombre des plus grands noms de la peinture du XVIIe siècle, Laurent de la Hyre, Charles Poërson, Eustache le Sueur, Noël Coypel, etc.
Les tableaux étaient commandés par la confrérie des orfèvres, et étaient offerts en cadeau en dévotion à la Vierge Marie le premier mai de chaque année. L’emplacement actuel n’est pas leur emplacement d’origine. Dès 1630, chacun des Mays était accroché en surplomb des colonnes des grandes arcades de la nef et du chœur. 

Imaginons alors l’effet rendu à l’intérieur de la cathédrale. Toute le long de la nef se déployait un cycle de toiles majestueuses relatant l’histoire des premiers apôtres. Nous sommes bien loin des murs nus qui ne montrent que la pierre, que l’on peut voir actuellement. Le thème choisi et la façon de le représenter était une exhortation à s’engager pour la propagation de la Bonne Nouvelle, tout comme les premiers disciples le firent, jusqu’au martyre.
Les toiles présentes dans la cathédrale étonnent par leur dynamisme. Les compositions sont extrêmement complexes et reposent sur les mouvements de spirale et des gestuelles éloquentes. Ce sont de pures manifestations de dramatisme baroque, qui peuvent s’apparenter par leur expressivité aux sculptures du Sacri Monti du Nord de l’Italie.
Chacune des toiles mériterait une étude approfondie, or, voilà le problème, vingt-trois des Mays ont disparus, les autres sont répartis dans différents musées français, ceux de Notre-Dame de Paris, sont, disons-le, dans un état déplorable. Qui en effet à encore le souci de ces tableaux ? Quand on sait que le visiteur lambda n’a qu’une idée en tête, voir Quasimodo. C’est tout juste si les touristes ont envie d’entendre parler d’édifice religieux quand ils entrent dans la cathédrale. Et pourtant, quand je vais à Notre-Dame et que je m’installe pour un temps devant un des Mays pour le contempler, à chaque fois une dizaine de visiteurs s’arrêtent et regardent avec moi. Il suffit parfois seulement d’orienter le regard.
Pouvons-nous nous aussi orienter nos regards vers ces tableaux ? Tenter de retrouver les Mays disparus. Faire enfin une étude approfondie sur le sujet et proposer un ouvrage documenté et accessible. Malgré tous mes efforts, je n’ai trouvé pour le moment qu’un seul ouvrage sur le thème, un catalogue d’exposition du musée d’Arras datant de 1999, uniquement disponible d’occasion*. Il constitue une belle introduction (quand vous avez réussi à vous le procurer) qui souligne toutefois à plusieurs reprises l’état lacunaire des connaissances que nous avons sur le sujet.
Est-ce ainsi que nous rendons hommage au plus grand cycle de peinture religieuse française de la période baroque ?  Vous en conviendrez que cela est un peu léger. Les festivités pour les 850 ans de Notre-Dame de Paris sont en préparation. Un grand livre sur Notre-Dame de Paris est en cours. Les travaux de restauration et d’embellissement de la cathédrale ont déjà commencés. Est-ce que quelque chose a été prévu pour enfin mettre en valeur les grandes toiles oubliées ? Nous verrons bien en 2013. En attendant, gardons les yeux ouverts, et si jamais vous pensez avoir trouvé un des Mays disparus, faites-moi signe !

Vous trouverez quelques informations ainsi que les reproductions d’une partie des Mays présents dans la cathédrale sur le site de Notre-Dame de Paris
*Les Mays de Notre-Dame de Paris, Musée des Beaux-Arts d’Arras, 1999, ISBN : 2 910205 07 X

mardi 11 octobre 2011

RIP Culture, pas question !

La lecture de la presse spécialisée ou des blogs d’opinion tire une sonnette d’alarme dont je souhaite faire l’écho ici car le phénomène semble prendre de l’ampleur. Ces phénomènes qui sont la détérioration de la qualité des produits culturels tant dans leur conception que dans leur production, ainsi que le progressif effacement des programmes culturels de tous médias, ne peuvent être qu’alarmants. Je rejoins l’avis de Jean-Christophe Pucek qui nous interroge sur la façon de transmettre notre patrimoine culturel et encore plus musical à ceux qui sont éloignés des seules sources qui donnent encore de l’information sur ce sujet. Le recul progressif des collectivités territoriales du domaine culturel est un autre signe du mal dont semble souffrir de plus en plus notre époque. Certes l’utopie de la démocratisation culturelle a montré ses limites et pourrait justifier de nouvelles approches, mais de là à laisser tomber toute forme d’action vis-à-vis des publics éloignés de la culture, la mesure n’est pas la même. Bien entendu, les pouvoirs publics ne seront pas d’accord là-dessus, un budget est toujours alloué aux arts. Mais lesquels ? C’est cela la question. Car tous les arts n’ont pas la cote. La musique fait ici office de parent pauvre tant sa représentation dans les différents médias se réduit à peau de chagrin. Oui bien sûr l’auditeur lambda vous dira que toute façon il n’écoute de la musique classique que pour s’endormir. Forcément, puisque la musique à laquelle il a accès ne pourra que très difficilement faire autre chose que l’endormir. Car que trouve-t-on en tête de gondole des supermarchés au rayon « Classique », les « Prêtres » ou un énième enregistrement des Nocturnes de Chopin aussi lissé que le précédent. La grande distribution ne prend pas de risque, la loi du marché a fait le ménage. Et quand à présent il m’arrive d’offrir un disque de musique ancienne à un néophyte et que celui-ci me répond, « pour une fois, je ne me suis pas endormi, d’où vient cette musique ! », j’ai envie de dire à tous les directeurs de conscience de la prétendue culture, gouvernés par leurs seules lois mercantiles, qu’en terme d’achat, un esprit éveillé en vaut plus que dix endormis. Mais peut-être ne suis-je pas au fait des avancées technologiques qui nous permettront de nous satisfaire de n’importe quelle bouillie musicale pourvu que celle-ci nous permette d’utiliser notre carte de crédit. Quand je le serai, je dirai un grand merci au grand Big Brother qui a su me débarrasser de toute faculté de discernement pour pouvoir entrer béate et comblée dans l’univers merveilleux du consumérisme de masse ! Avant d’en arriver là, « Restons Curieux ! ».

 A lire :

L'article de Jean-Paul Combet sur le dernier enregistrement du Poème Harmonique : http://www.lautremondeparis.com/Pages/page.aspx?p=00022

L'article de Jean-Christophe Pucek, Classiques caciques, histoires d'un désamour : http://www.passee-des-arts.com/article-classiques-caciques-histoires-d-un-desamour-86226521.html

Et une petite perle pour les oreilles :
L'Ange Gardien, Les Sonates du Rosaire de Heinrich Ignaz Franz Biber

mardi 4 octobre 2011

" Les musiques d'Henry IV", un documentaire Arte qui réjouit les oreilles !

Dimanche soir dernier, je venais d'allumer ma télé pour m'occuper l'esprit pendant les 7 minutes de cuisson de mon plat de pâtes, quand j'eu une belle surprise en entendant le début d'un air de Pierre Guédron, En ce bois si beau je m'amuse. Merveille, je venais de tomber sur un programme à propos de la musique sous Henry IV ! Arte a eu l'idée très heureuse de nous concocter un programme sur la naissance de la musique baroque en France, en laissant la part belle aux enregistrements musicaux, qui une fois n'est pas coutume, nous étaient proposés dans leur intégralité. Vous reconnaîtrez aisément qu'il n'est pas courant d'entendre du John Dowland, ou encore du Eustache du Courroy, en dehors des programmes sur Mezzo.
Alors comme la vidéo est encore disponible sur Internet, je vous invite à la visionner, c'est un régal !

Deux nouveautés exceptionnelles : les enregistrements inédits de Luis de Briceno et de Michelangelo Falvetti par le Poème Harmonique et Leonardo Garcia Alarcon


Agostino Carracci [Public domain], via Wikimedia Commons

Cette rentrée est marquée par la sortie de deux disques qui méritent de retenir toute notre attention, tant par leur qualité artistique, que par l’originalité de leur sujet.
Il s’agit tout d’abord du disque du Poème Harmonique, El Fenix de Paris, qui  nous propose de redécouvrir un compositeur espagnol qui officia en France au milieu du XVIIème siècle, Luis de Briceño. Dans ce très bel enregistrement, Vincent Dumestre et ses acolytes du Poème Harmonique, font renaître des mélodies oubliées depuis cette époque. Nous y retrouvons toutes l’expressivité musicale de l’ensemble qui réussit une fois de plus à nous toucher, grâce aux danses rythmées dont l’élan est donné par la très dynamique guitare baroque de Vincent Dumeste, ainsi que par les mélodies expressives joliment colorées par les voix de Claire Lefiliâtre et Isabelle Druet. Nous retrouvons tout le plaisir de la découverte musicale que l’ensemble nous avait déjà offert à travers leurs enregistrements de musiques de danses d'Etienne Moulinié, de Pierre Guédron, ou encore d’Anthoine Boesset.
L’autre sortie disque est tout aussi remarquable, puisqu’elle aussi inédite. Il s’agit du Il Diluvio Universale de Michelangelo Falvetti, dirigé par Leonardo Garcia Alarcon, dont la première représentation a eu lieu en septembre dernier au festival d’Ambronay. Le jeune chef argentin nous avait déjà régalés de deux superbes disques en 2011 : Les Vespro a San Marco de Vivaldi, ainsi que l’Ave Maria de Giovanni Giorgi, autre compositeur ignoré, dont la découverte fut un véritable coup de foudre pour le chef.  Avec cet enregistrement de Falvetti, Leonardo Garcia Alarcon arrive une fois de plus à nous convaincre, en jouant, cette fois-ci, sur la restitution théâtrale et lyrique de ce drame aux saveurs de fin du monde dont Noé et sa femme sont les principaux instigateurs.  Il bénéficie pour cela de la participation de chanteurs talentueux tels que Caroline Weynants, Fernando Guimares, ou Mariana Flores. Le ton est grandiloquent et l’ensemble impressionnant, au risque parfois d’en faire un peu trop, seul point que l’on pourrait toutefois reprocher au jeune chef.
Je vous invite néanmoins à découvrir ce disque, ou mieux, à  aller les écouter en direct puisque l’ensemble est en tournée nationale jusqu’à la fin de l’année.
Pour trouver toutes leurs dates de concert : www.agendaculturel.fr/leonardo-garcia-alarcon
Site officiel de Léonardo Garcia Alarcon : www.leonardogarciaalarcon.com
Site officiel du Poème Harmonique : www.lepoemeharmonique.fr

mardi 27 septembre 2011

Giordano Bruno, un esprit libre qui lui coûta la vie

Portrait de Giordano Bruno

Tenir tête aux pouvoirs séculier et religieux sans distinction, combattre toute forme d’ignorance, jusqu’à sacrifier sa vie, c’est ainsi que Giodarno Bruno a mené sa vie. Erudit à la mémoire exceptionnelle, le savant italien n’a pas eu peur d’affirmer ses opinions et répandre ses idées, quitte à être apatride et rejeté de toute l’Europe. Car ces idées, sur l’astronomie et la physique, étaient considérée comme dangereuses par les têtes « bien pensantes » de l’époque qui le condamnèrent sans vergogne.

Le livre de Jean Rocchi retrace l’histoire exceptionnelle de cet esprit libre qui a ouvert la route aux plus grandes découvertes de la science moderne et dont la somme bibliographique nous surprend encore aujourd’hui tant par sa richesse que par son éclectisme. C’est une découverte à faire pour ceux qui ignore tout de la vie de Giordanno Bruno, ou un approfondissement à ne pas rater pour ceux qui le connaisse déjà.
Disponible à L'Autre Monde :

vendredi 23 septembre 2011

Hommage au Molière d'Ariane Mnouchkine


Si vous en avez assez des films de capes et d’épées à la manière hollywoodiennes, cheveux gominés et regard d’ange, je vous invite à redécouvrir un film de 1978 qu’il ne faut surtout pas oublier. Il s’agit ici du Molière d’Ariane Mnouchkine.

Qu’est-ce que ce film a de plus que les autres ?
Tout d’abord, ses acteurs. C’est une troupe existante depuis 13 ans au moment du tournage qui s’est lancée dans cette aventure. Et cela fait la différence avec des acteurs studios. L’expression des sentiments, les faciès la façon d’utiliser les corps, sont plus authentiques, plus profondes. La complicité entre les acteurs, ou du moins leur habitude de jouer ensemble est visible.

Ensuite, c’est un film que l’on peut qualifier de monumental, par sa durée, un peu plus de 4h, décomposée en deux grandes parties, la jeunesse de Molière et ses années de consécration. L’influence du théâtre dans ce découpage est aussi claire.


Dans la première partie, plusieurs scènes villageoises du XVIIème sont reconstituées. Nous nous retrouvons plongés dans une ambiance délurée et ultra vivante (pensons ici à la scène du carnaval). Mais c’est aussi le réalisme époustouflant qui laisse en admiration. Dîtes que le métier d’acteur, même de figurant, est un métier facile, et reconsidéré votre propos après avoir vu ce Molière.
Car c’est bien dans une couche de boue de 50cm de profondeur que les acteurs pataugent. Ajoutez-y le poids des robes maculées de boue et l’odeur de la viande laissée à l’air libre (dans la scène de la dispute entre les bandes) et votre vocation d’acteur sera mise ne danger, c’est sûr !

Mais le résultat est à la mesure de la peine donnée. Le tableau dépeint est digne des portraits de gueux du Caravage, et la sensation est la même. C’est le dépaysement, tout autant que la répulsion, l’empathie et l’émoi qui nous secouent les tripes.

La prouesse d’Ariane Mnouchkine est de garder cette atmosphère, qui rend compte très justement des conditions de vie de l’époque, tout au long du film. C’est donc un vrai film historique, et non une vague fable ancienne baignant dans un hygiénisme tout moderne, telle que nombre de réalisateurs font depuis.  

Je voudrais encore tirer mon chapeau une dernière fois dans ce billet, pour le passage de Commedia Dell’arte que le metteur en scène nous offre dans la première partie du film. Celui-ci sonne comme un hommage à la mère du théâtre professionnel.
Et c’est à nous, à présent de rendre hommage à cette très belle réalisation. Il est bon parfois de ne pas être figé sur les nouveautés, et de tourner la tête pour se souvenir de tout ce qui était bon et qui mérite de rester en mémoire.





Disponible à l'Autre Monde


jeudi 22 septembre 2011

Le Retour des Caravelles, Alain Pacquier

Le créateur du label K617 et du festival de musique de Sarrebourg nous offre un nouveau livre, quinze ans après la sortie de son ouvrage Les chemins du baroque dans le Nouveau Monde (Fayard). Il est à nouveau question dans ce nouvel opus de son expérience au cœur de l’Amérique latine et de la découverte de son patrimoine musical. Cependant, fort d’un recul supplémentaire sur cette expérience extraordinaire qui a vu la renaissance de la musique ancienne des pays sud-américains, l’auteur nous livre un témoignage plus personnel, moins musicologique, à la manière du Vous avez dit Baroque de Philippe Beaussant.

L’écriture dynamique qui enchaîne les histoires à un rythme soutenu nous fait traverser toute l’épopée des « Chemins du Baroque », de la naissance du projet à son accomplissement, en passant par les obstacles, les doutes et les joies qui la jalonnent. Alain Pacquier choisit très judicieusement d’introduire des témoignages de personnes extérieures, ajoutant du relief au récit à travers ces autres points de vue.

Pour vous en donner un avant-goût, nous avons choisi de vous livrer un de ces points de vue. C’est celui d’André Ladousse, conseiller pour la coopération scientifique et technique à l’ambassade de France à Mexico :

« Evidemment lorsque l’ambassadeur a vu Alain, il fut un peu surpris. J’ai dû argumenter : c’est un spécialiste, faisons-lui confiance car il a un énorme projet qui ne demande qu’à éclore pour les commémorations de la «  Découverte du Nouveau Monde ». C’est un visionnaire. […] Avec le recul, je me rendais bien compte que seule l’action dans la durée permit d’aboutir au succès. »

Et ce fut un succès, ou plutôt, plusieurs succès, celui d’une rencontre entre deux cultures, celui de la mise en valeur d’un patrimoine oublié, celui de la réalisation d’un festival et d’un label, et celui, à présent, d’un livre qui nous fait partager avec enthousiasme toutes ces réussites. Un ouvrage qui nous donne de l’entrain pour la rentrée !

Retrouver cette critique sur le site de L'Autre Monde : www.lautremondeparis.com

vendredi 16 septembre 2011

L'itinéraire d'une caravelle d'Alain Pacquier

Rembrandt,
Le cour d'anatomie du Docteur Tulp (détail),
1632
Nous sommes dans une chambre universitaire, Gaëlle et moi. Neuf mètres carrés, voilà l’espace dont ma camarade étudiante bénéficiait pour vivre. Dans ce réduit, de la taille d’un grand placard, mon amie me partage ses souvenirs de Bolivie. Nous sommes en 2004, nous entamons toutes deux notre deuxième année de musicologie à l’université de Strasbourg.Gaëlle est lorraine, sa famille habite près de Sarrebourg. Ce détail, en apparence anodin, est pourtant au fondement de cette anecdote. Car depuis le début des années 1990, Alain Pacquier œuvrait à la rencontre de « deux mondes » près de Sarrebourg, le France et l’Amérique latine. Son rêve fou, né d’une simple intuition était de faire renaître une musique oubliée depuis des siècles outre-Atlantique, la musique baroque et de la faire réentendre, ici, en Lorraine et là-bas, en Amérique latine. Des centaines de jeunes boliviens, péruviens, mexicains et lorrains, ont pu bénéficier des programmes d’échanges et des formations qu’il mit en place. Gaëlle, sans le savoir, était en train de me raconter cette histoire, qui l’avait bouleversée, qui avait affermit son goût pour la musique baroque latino-américaine. Pendant les deux autres années que durait notre formation, elle ne cessa de me rappeler cette passion, originale, dont peu de nous pouvaient se faire l’écho, si ce n’est les étudiants péruviens et colombiens avec qui elle se liait plus facilement que nous d’amitié.
Alain Pacquier a voulu jeter un pont entre ces deux cultures. L’exemple de Gaëlle montre qu’il a réussi. Je prends conscience de cela alors que je lis son dernier ouvrage, Le Retour des Caravelles.
Je dois écrire une chronique dessus, je n’ai pas encore d’inspiration, juste cette histoire qui me trotte dans la tête, et cette citation de R.M Rilke qu’Alain Pacquier cite dans son avant-propos :
« Ce n’est qu’en vivant les questions que vous entrerez insensiblement dans les réponses ».
Le pouvoir des visionnaires est de créer une onde de choc dont le simple écho peut venir un jour toucher nos vies avec une proximité saisissante.
Aujourd’hui c’est Alain Pacquier qui surgit à travers cette ellipse. Hier, ce fut quelqu’un d’autre, avec un certain disque « Aux marches du Palais », acheté, un peu par hasard j’avoue, à l’abbaye du Thoronet. C’était en 2006.

samedi 10 septembre 2011

Luis De Briceno, El Fenix de Paris par le Poème Harmonique, Vincent Dumestre

Karel Dujardin, Paysans italiens à l'échoppe des charlatans
Pour vous parler du prochain disque de Vincent Dumestre  et du Poème Harmonique qui sortira le 29 septembre prochain, je pourrais vous parler de choses communes, des voix merveilleuses de Claire Lefilliâtre et Isabelle Druet, et de la non moins merveilleuse guitare de Vincent Dumestre. C’est sûr, tous les journaux spécialisés ne manqueront pas de vous dire la même chose. Mais pourquoi nous limiter à cela ? Pourquoi également ne vous parler que de l’histoire de Briceño ? D’accord, cet espagnol perdu en France n’est pas le plus fameux des compositeurs du XVIIe, donc quelques mots sur lui ne seraient pas superflus. Nous verrons cela plus tard.

Pour l’instant, je savoure, ces airs d’amour et de caractère. Peut-être a-t-on trop reproché à Briceño la simplicité de sa musique, et surtout l’ardeur qu’il avait à la défendre, mais aujourd’hui il est temps de revenir sur ce jugement.

« Todos se burlan de mi,
Y yo me burlo de todos,
Porque si me llaman asno
Ellos son necios y tontos.

Tous se moquent de moi,
Et moi je me moque de tous,
Car s’ils m’appellent âne,
Eux sont des sots et des idiots. »


Je suis plutôt d’accord avec ce jugement Luis ! Heureusement que Vincent t’as déterré. Parce qu’avant lui, on t’avait un peu oublié. Et c’était bien dommage. C’est vrai que quand Vincent fait de la musique, il a tendance à faire du Poème Harmonique, mais c’est tellement beau, on peut bien lui pardonner.

Bon, je n’en dis pas plus, le disque n’est pas encore sorti. Gardez ça en secret, et le 29, faites un tour à L’Autre Monde et vous saurez tout !

Retrouvez toutes les informations concernant le Poème Harmonique sur leur très beau site : http://www.lepoemeharmonique.fr

vendredi 9 septembre 2011

Campra , Le Carnaval de Venise par Hervé Niquet et le concert spirituel

Couverture livre-disque
Le Carnaval de Venise
Nous sommes en 1699, à l’aube d’un nouveau siècle et au crépuscule d’un règne interminable. Cette année-là, Campra écrit son deuxième Opéra-Ballet, Le Carnaval de Venise. Louis XIV, a remplacé « les plaisirs, les jeux et les ris » de la cour par une dévotion marquée d’austérité. L’académie royale de musique, charge du Dauphin, échappe en partie à ce sort et conserve un programme éclectique. En plus des grandes fresques religieuses propres à satisfaire le monarque, elle propose également des œuvres légères et faciles, plus au goût d’un public lassé par trop d’années de grandiloquence.
Ce contexte voit l’émergence d’un genre nouveau dont Campra est l’un des ambassadeurs, l’Opéra-Ballet. L’Europe Galante de 1697 avait inauguré la série, qui ne connaîtra son déclin que vingt ans plus tard. Ces histoires en apparence légères sont une réaction en demi-teinte à l’étouffant pouvoir absolu qui commence à être pointé du doigt.

D’un point de vue musical, l’arabesque des mélodies et le retour de l’aria da capo laissent transparaître des influences italiennes, inspirations lourdement combattues du vivant de Lully. Le style français s’était en effet imposé dans toute la France depuis quelques années, n’assumant que très peu les influences transalpines pourtant existantes. Le bon goût était alors à l’écriture plus harmonique que mélodique, la scansion carrée, et le rejet de tout artifice. Ces règles firent office de loi alors que Lully s’affirmait comme seul compositeur de la Cour de France. Les italianismes de Campra montrent qu’une page se tourne.

Il en va de même dans le choix des personnages. Le roi ne danse plus, son costume d’Apollon est mis au placard et avec lui la myriade des personnages mythologiques. Les protagonistes du Carnaval de Venise, Léonore, Léandre, Isabelle et Rodolphe sont des personnages réalistes. L’intrigue est simplifiée. Le public peut à nouveau s’identifier à ces héros. Le pouvoir absolu est doucement remis en cause. Des intrigues dignes d’intérêt peuvent également naître du peuple, et non plus seulement du roi. Là aussi, nous sommes à la fin d’une période.

L’intérêt de cet opéra, dont c'est ici le premier enregistrement, est à la fois musical et social, pour ne pas dire politique. Mais il s'agit aussi, avant tout, d'un jalon majeur de l'histoire de l'art lyrique, à découvrir absolument. Une gourmandise pour l’oreille et pour l’esprit.



Le Carnaval de Venise d’André Campra
Le Concert Spirituel, Hervé Niquet.
Livre-disque sorti chez Glossa en édition limitée, tirée à 3900 exemplaires.

à lire également :

- Le Carnaval de Venise, livret, études et commentaires, par Jean Duron aux éditions Mardaga
- André Campra, un musicien provençal à Paris, par Jean Duron aux éditions Mardaga
- André Campra, étude biographique et musicologique, par Maurice Barthélemy chez Actes Sud

Disponible à L’Autre Monde

samedi 25 juin 2011

Des transcriptions à la Dalbade, Yves Rechsteiner

Dernier né du Label Alpha, le très beau disque enregistré sur l'orgue de Dalbade à Toulouse par Yves Rechsteiner nous offre une interprétation boulversante d'arrangements de certaines des pièces les plus fameuses de la musique romantique telles que le Nocturne en mi bémol majeur de Chopin ou encore la Symphonie Fantastique de Berlioz.
L'orgue de 1888 construit par Eugène Puget tient le devant de la scène aux côtés de l'interprète. Nous sommes surpris par la riche douceur de son harmonie de fond qui berce à merveille l'éclat brillant des mélodies. C'est un véritable écrin de velours qui nous enrobe, sans toutefois céder à la monotonie. Au contraire, l'autre caractéristique de cet orgue est son extraordinnaire flexibilité dans les nuances. Le tout nous transporte dans un univers onirique et dévoile sous un jour nouveau des pièces parfois écoutées jusqu'à plus soif.
Par exemple la danse macabre de Camille Saint-Saëns qui ouvre cet album gagne en mystère et en profondeur dans cette transcription. Le tableau joué dépeint ainsi véritablement les squelettes dansant, les os s'entrechoquant, selon l'image voulu par le compositeur. La force fantastique de la composition devient palpable, elle prend une densité nouvelle.
Le larghetto en la mineur de la septième symphonie "Pastorale" de Beethoven connaît lui aussi le passage de l'arrangement pour orgue sous les doigts et l'esprit d'Yves Rechsteiner. Nous découvrons alors une pièce pleine de receuillement d'où le caractère sacré que l'on pouvait déjà supposer dans la version originale semble apparaître à travers la texture sonore de l'instrument roi des églises.
Je ne saurais donc que recommander très chaleureusement ce disque, ainsi que les deux autres sortis dans la même collection, aux amateurs d'orgues bien sûr, mais aussi à tous les curieux amoureux de belle musique.
A écouter également :
Cintegabelle, Yves Rechsteiner, Alpha 650 (2009)
Lunéville, Frédéric Desenclos, Alpha 651 (2010)
Disponibles à L'Autre Monde

samedi 18 juin 2011

Sympathique le Baryton à cordes !

Sympathiques les cordes par résonnance sympathique du Baryton.
Cet instrument compilant un manche à frette comme sur une viole de gambe et des cordes résonnant par sympathie comme sur une viole d'amour offre un son proche de l'alto quand il joue dans l'aigu, ce qui est souvent le cas, auquel peut s'ajouter le pizzicati des cordes métalliques pincées. Le tout offre une polyphonie qui couplée à d'autres instruments à cordes apporte une sonorité tout à fait particulière, dynamique et délicate.
Guido Balestracci (ensemble L'Amoroso) nous offre une démonstration tout à fait convaincante des possibilités de cet instrument méconnu à travers l'interprétation des pièces d'Haydn écrites spécialement pour le Baryton, à destination du prince Esterhazy, amateur historique de l'instrument.
Il est accompagné pour cela d'Alessandro Tampieri (ensemble l'Arpeggiata) et Bruno Cocset (Les Basses Réunies). C'est donc un témoignage historique, mené de mains de maîtres par le trio qui nous est proposé dans l'album Divertimenti Per Il Pariton Tre qui vient de sortir chez Ricercar.
A lire sur le sujet, le très bon article du blog Le Passé des Arts (blog que je recommande d'ailleurs vivement): http://www.passee-des-arts.com/article-divertimenti-princiers-des-trios-avec-baryton-de-haydn-par-guido-balestracci-76928850.html

samedi 21 mai 2011

Rose of Sharon, 100 years of Amarican Music (1770-1870)

Bataille pour la liberté, pratiques religieuses extrêmes et chants de propagande, voici le programme que Joel Frederiksen nous propose à travers son album 100 years of American Music (1770-1870). Mélodies anonymes ou dédicacées des premiers compositeurs Made In America tels que William Billings, Jeremiah Ingalles ou encore Benjamin Frankiln White (tiens ces noms me disent vaguement quelque chose), ces témoignages musicaux reflètent déjà toutes les facettes d'une nation qui semble se ressasser les mêmes thèmes depuis ses origines.

Mais livrés dans leur musique première, ceux-ci gardent une sorte de virginité, comme la première pousse d'une plante qui deviendra un chêne, mais dont on ignore encore à ce moment l'avenir. L'intention de ces chansons est parfois claire, et consiste en la simple reprise d'airs populaires, comme chants patriotiques ou religieux, parfois plus ambigue, comme cette ballade dédiée au pirate "le plus connu de tous les temps", Captain Kidd. Certain de ces airs résonnent encore dans les mémoires américaines sans que l'on sache trop d'où ils viennent, comme s'ils avaient toujours été là.

Frederiksen lève une partie du voile sur les origines de la musique ancienne américaine, quelles soient écossaises, irlandaises ou venant d'ailleurs, le tout dans un écrin musicale superbe (on se régale entre autre du timbre de voix de basse du musicien dans The Death of General Wolfe). L'album nous surprend par l'étrange familiarité que nous avons avec ces chants vieux de trois siècles, a mi-chemin entre musique savante et chansons populaires.

En bonus, un très beau livret explicatif écrit de la main même du musicien !


Rose of Sharon, 100 years of American Music
par Erik Frederiksen et l'ensemble Phoenix Munich.
Sortie le 26 mai 2011


A écouter également :
The Elfin Knight, Ballades et Danses de la Renaissance Anglaises
par Joel Frederiksen et l'ensemble Phoenix Munich.


Disponible à l'Autre Monde

vendredi 22 avril 2011

Un Requiem en mouvement

C'est avec plaisir que je reprends l'écriture afin de vous partager les dernières rencontres musicales et artistiques qui m'ont touchées.


Mon travail dans l'Autre Monde m'offre une nourriture artistique suffisament abondante pour remettre en marche mes neurones et tenter d'en sortir quelques substances qui risquaient de s'empâter dans un coin de ma tête. Fort heureusement, des oeuvres d'une beauté incomparable sont venues me saisir avant qu'il ne soit trop tard ! C'est ainsi que le Requiem de Mozart interprété par Téodor Currentzis est venu réveiller mon esprit.

Venir secouer le temple Mozart n'a rien d'évident, surtout lorsqu'on s'attaque à un édifice de l'importance du Requiem. Nombreux sont les chefs qui y ont laissés des plumes.




Comment en effet jouer cette partition d'une apparente facilité, qui pourtant cache des pièges à presque chaque mesure ? L'erreur à ne pas commettre est de s'engouffrer dans tous les temps et de s'y endormir. Faisons plutôt rebondir les basses, allégeons les aigues. La mort est-elle dans les tréfonds de la terre ou dans les nuées des cieux ?


T. Currentzis a pris position et tout s'envole. Les basses de l'Offertorium ne laissent aucun doute là-dessus. Ce qui m'a séduit se trouve pourtant ailleurs. C'est dans le mouvement que réside mon véritable attrait pour cette oeuvre. Je m'explique.
Le Requiem, messe en mémoire des morts, ne trouve son sens à mon avis n'ont pas dans l'éloge de la mort, mais dans son opposé qui s'y reflète, la vie. Or beaucoup d'interprétations semblent s'empâter dans la seule commémoration trop solennisées de la mort, sans y chercher son reflet.



T. Currentzis ne tombe pas dans cet écueil. Il nous offre une version qui passe de l'évocation de l'esprit en furie, grâce au relief de ses nuances, au vombrissement de l'âme par le crissement des archers qui rayent littéralement les cordes des contrebasses, violoncelles et violons. L'ensemble permet de créer une spirale qui tourne sur elle-même et crée le mouvement.


La maîtrise technique est donc à l'origine de cette sensation. Mais l'audace du jeune chef réside surtout dans l'apparent détachement de l'artiste avec son oeuvre, lui laissant alors tout l'espace nécessaire à son déploiement et à son expression autonome.


Peut-être que je me trompe. Le travail effectué à certainement été d'une précision d'orfèvre. Néanmoins, ce qui est frappant c'est la liberté qui se dégage de cette musique, qui semble s'affranchir de toutes contraintes matérielles, pour ne laisser place qu'à la plus pure expression de la partition.

Jugez par vous même : Requiem de Mozart, par le choeur et l'orchestre de chambre de l'opéra de Novosibirsk, direction Teodor Currentzis, Alpha Production, n°178.



Disponible à l'Autre Monde