jeudi 9 septembre 2010

"Elles", exposition au centre Pompidou du 27 mai 2009 au 21 février 2011


Présenter une exposition sur les femmes artistes pour rappeler qu'elles sont des artistes avant d'être des femmes est un pari dangereux. C'est en forçant le trait sur l'absence de différence que l'effet peut s'inverser. Exposer "exclusivement" des femmes montre que cet univers créatif n'est toujours pas considéré comme une forme conventionnelle, mais présente une originalité. Imaginerait-on une exposition "exclusivement" réservée aux hommes, cette proposition flirte dangereusement avec l'absurde, son opposé, par contre, semble cohérent.

Comment cela s'explique-t-il ? Les oeuvres d'artistes femmes sont-elles davantage mises en valeur lorsqu'elles ne côtoient que des créations produites par ce même sexe ? Je doute de la pertinence d'une telle réflexion et vous demande d’ailleurs votre avis sur le sujet.

Qu’est-il préférable, des expos d'artistes femmes ou des artistes femmes dans les expos ? Faites votre choix, le mien est tout trouvé. Et j'aurais d’ailleurs préféré pour ma part que la question n'ait pas à se poser. Mais il n'en n'est rien. Celle-ci se présente toujours avec une grande force. L'exposition proposée par le centre Pompidou le rappelle. Pour le voir, n’hésitez pas la prochaine fois que vous visiterez un musée à compter le nombre d'artistes femmes exposées. Ce jeu est désolant.
C'est pourquoi les femmes ont souvent adopté le registre de la révolte dans leur démarche créative.
La première partie de l'exposition du centre Beaubourg s'oriente logiquement vers cette thématique. Dans les salles Feu à volonté et Corps slogan, le corps, origine de la discrimination est à la fois meurtri et vénéré. La relation est violente, brutale. La blessure trouve son sublime dans la provocation, quitte à choquer le spectateur. Certaines pièces montrent dans un cri de douleur les clichés destructeurs : la soumission, la pornographie, le sexe, montrés de façon brutale dans leurs états de chair et de sang.

Cependant la production artistique féminine ne saurait s'arrêter à la lutte. Elle prend diverses routes. Elle passe de la technique à l'humour à travers des œuvres telles que celles de Gae Aulenti ou de Sylvie Fleuri, ou encore de l'onirique à l'immatériel par les travaux de Dorothea Tanning ou de Christina Iglesias. Ce dernier univers est d’ailleurs celui qui à mon sens révèle la profondeur de la création féminine. Dans ces formes lavées des luttes et des conflits, les différences s'évanouissent. Il ne reste plus alors que l'artiste, le poète, le créateur, homme ou femme, peu importe le genre. Elles perdent leur origine et entrent dans la pacificité du conflit apaisé. Le spectateur est alors transporté dans des étendus de silence et de paix.

Après la fulgurance des premières œuvres, l'apaisement des dernières vient équilibrer l'ensemble de l'exposition. Le spectateur peut à ce moment partir l'esprit chargé d'une richesse inouïe de formes, de couleurs et de sensations. Il guettera à l’avenir, j’en suis sûre, avec plus d'attention et une curiosité nouvelle, la présence des femmes artistes au long de ses promenades muséales.

Ci-dessus : Elke Krystufek, Size does not matter, age does matter, 2006


vendredi 25 juin 2010

Pierre Filliquet, "Les doigts gelés", du 25 juin au 18 juillet 2010 au CEAAC de Strasbourg




Le passage est le maître mot de l'exposition proposée par Pierre Filiquet au CEAAC de Strasbourg. Le passage entre la vie et la mort, la beauté et le morbide, la fragilité et la présence, le hasard et la précision, le minéral et l'animal. Pierre Filiquet nous met en transition entre des opposés, entre des inconciliables qui s'épousent en douceur pour créer un moment de poésie qui nous bouleverse dans un souffle, dans un murmure à nos émotions.

Les crânes fracturés nous happent dans le monde de la mort. Les formes évoquées dans les lavis, fragments d'anatomie posés sur le papier par le charbon et l'eau, renvoient à cette même prose. Et pourtant, rien n'est fait pour satisfaire nos appétits morbide, rien d'offensant n'est présenté. La naturalité des fragments permet l'évocation de notre état mortel, de notre passage dans la vie. Les aléas du temps sont présents dans ces bouts d'anatomie, par la gravure de l'artère faite à l'intérieur du crâne, à la colonne vertébrale déformée par la maladie. Ces traces deviennent graphisme et dessin, le corps fragmenté et asséché est un objet à contempler. Il devient minéral et nous rappelle la matière dont nous sommes faits.

A travers cette exposition, l'artiste construit des ponts entre des univers lointains, entre la culture asiatique qui le nourrit et la culture occidentale qui l'a bercé. Il fait naître un nouvel espace qui condense le temps de la vie et de la mort tout autant qu'il condense les noirs du fond de ses photographies.
Le lien entre l'état minéral et l'humain réalisé renvoie à la composition du corps fait d'une matière organique qui deviendra poussière, et qui comme les fossiles, prendra l'aspect de la pierre.

Par la poésie et la force de ses oeuvres, Pierre Filiquet nous fige dans un temps au delà de ces conventions qui voudraient que la mort nous effraie pour nous inviter à découvrir la beauté silencieuse de notre propre matérialité.

jeudi 17 juin 2010

Ivan Seal, "I learn by osmosis", du 19 juin au 3 octobre 2010 au CEAAC de Strasbourg


L'exposition d'Ivan Seal part de "la chose la plus bête qui soit", un socle et de la glaise et de pas mal de peinture. De là, l'artiste anglais nous accompagne dans un cheminement imprévu.
La pièce se présente sous la forme d'une quinzaine de tableaux peints de petits formats, couvrant l'un des pans de murs du deuxième étage du CEAAC.

Grâce à ces quelques éléments de peinture, l'artiste nous amène à la frontière entre le niveau de représentation et le niveau de matière concrète. Le faux se fait passer pour du vrai, le mensonge devient le maître d'oeuvre. "Mais quelle drôle de mensonge" s'exclame le peintre. Il nous balance entre le concret et l'immatériel. Celui qui gagne en fin de compte c'est le hasard. Hasard des mots-sons choisis arbitrairement qui accompagnent les tableaux, hasard des association dans l'esprit du spectateur.
Mais le bouleversement est intime, tout comme le format des oeuvres, que l'on pourrait glisser sous le bras. Pas de tempête dans cette exposition, mais une invitation à l'introspection et la contemplation de son propre désordre intérieur.

L'exposition, sous ses airs bien rangé, produit en nous un décalage. L'apparente logique rassure le spectateur, quoique de plus simple en effet que de la terre glaise sur un socle, quelques bout de ficelles, de la peinture... puis, en s'approchant, l'artiste nous piège. Les lignes de fuite virent mal, les ficelles surgissent sans logique, les tâches de peinture trahissent le trace du doigt accidentellement posée sur la toile encore fraîche. L'esprit s'agite, les associations commencent : cette ficelle et ce bout de terre glaise, un pendu, des coquillages, des vides, nous sommes renvoyé dans notre inconscient, nos souvenirs, nos émotions et nous voilà piégé à nouveau. De matériau anodin, nous atterrissons dans le grand univers de l'imagination.

Mais n'est-ce pas le propre de l'art ? Si oui, Ivan Seal ne tenterait-il pas de nous piéger une troisième fois en nous faisant une leçon caché d'esthétique ? A vous d'y penser, n'est-ce pas Ivan !

mardi 15 juin 2010

Commis Commissaire, pas si sûr !


Quel est cet étrange phénomène qui vient toucher les centres d'art ? Du fond de leur esprit pensant, les commissaires invités viennent habiter ces lieux d'exposition, posant leurs idées et organisant expositions et visites. Quelle est la place des commissaires dans les structures qui les accueillent ?

Pour le comprendre, il faut d'abord se plonger dans ce qu'ils font. Pour cela, je ne peux faire reposer mon expérience que sur quelques discussions échangées avec Bettina Klein, commissaire d'exposition au CEAAC à Strasbourg et sur l'article "La matérialité de l'oeuvre" du magazine NOVO de mai 2010. Pas de quoi en faire en roman, vous me direz, mais de quoi se poser quelques questions.

Le commissaire se présente en effet comme le penseur, le créateur de l'exposition. Ceci n'est pas nouveau, la scénographie d'une exposition jouant un rôle actif venant révéler le sens d'une oeuvre ou la pensée profonde du créateur.

Ce qui est nouveau en revanche me semble-t-il, c'est quand le commissaire devient créateur à son tour. Par exemple, la démarche intellectuelle de Manfred Pernice s'est faite en collaboration avec Bettina Klein. Les anciennes fabriques de vaisselles ont été visitées ensemble, les pièces exposées entrent dans l'histoire directe de la commissaire (une partie de la vaisselle appartient en effet à la grand-mère de Bettina). Alors, simple aide à la création ou création conjointe ?

Si nous entrons dans le dernier cas, cela signifie-t-il que l'exposition devient un objet artistique en soi, auquel participeraient les artistes, sous la direction d'un commissaire qui tenterais à devenir démiurge ? Le rôle actif des commissaires d'exposition n'est plus à démontrer.

Mais dans le cas extrême où l'exposition serait l'objet central de la création, quelle place prendraient alors les oeuvres ?
L'équation de la création artistique mérite peut-être d'être posée en d'autres termes. Qui de l'oeuvre ou de l'exposition peut conduire le spectateur dans son imaginaire ? Il me semble que ce sont les deux. Les oeuvres sont les ingrédients, l'exposition la mise en place. Le commissaire propose sa propre déclinaison, sa version du créateur qu'il expose. Il devient alors lui même créateur. La frontière semble alors s'amenuiser. Le commissaire ne deviendrait-il pas lui aussi un peu l'artiste qui s'expose ? L'oeuf vient-il de la poule ou l'oeuf de la poule ? Voici un vaste débat où les commissaires d'exposition nous plongent pour le plaisir des méninges et des yeux.

samedi 3 avril 2010

Comment les climato-sceptiques nous interrogent sur notre propre dépendance aux médias et sur l'importance du doute

Messieurs Courtillot et Allègre vous nous dites que l'origine humaine du réchauffement climatique est une duperie, une manipulation de quelques scientifiques bien intentionnés qui souhaitent voir le retour d'un âge ancestral, presque chamanique où la nature serait toute puissante sur l'homme. Votre point de vue nous interroge, nous les citoyens dépendants des médias et ceci à deux égards.


Comment la presse avec le concours des scientifiques nous aurait manipulée pendant des années en nous servant une soupe écolo aux seules fins de voir le retour d'un âge dépassé. Je ne suis pas sûre que ce discours soit cohérent. L'ombre du super complot digne de série américaine semble trop évidente pour être réelle.

Mais au delà de la véracité ou non de l'implication humaine dans le réchauffement climatique, ces deux messieurs interrogent sur la faculté pour chaque citoyen de mettre en doute les informations qui lui sont transmises.


Dans un monde où une masse d'information pléthorique est accessible à tous avec la plus grande facilité, ne sommes pas nous pas en définitive, sous informés ? Le "cens caché" de Daniel Gaxie ne joue-t-il pas également pour l'information, avec d'un côté ceux qui possèdent le capital culturel suffisant pour aller chercher les informations justes et les mettre en perspective et de l'autre, ceux qui dépendent d'une sélection préalable effectuée par les média.

Les thèses de MM. Courtillot et Allègre nous mettent cependant tout à coup tous dans le même sac. Je dis nous pour désigner la masse des néophytes scientifiques qui n'ont pas les outils en main et les instruments d'analyse nécessaires pour tirer leurs propres conclusions sur l'origine du réchauffement climatique. Leur doute nous rappelle notre propre dépendance.


En effet sans la médiatisation de leur questionnement, n'aurions nous jamais remis en cause notre rôle actif dans le réchauffement climatique ?

Donc loin de me rallier à leur conclusion qui me semble trop peu nuancée pour s'avérer juste, je vois tout de même dans ce nouveau débat l'occasion de rappeler l'importance du doute qui selon moi est la clé de l'accession la plus juste possible à la réalité des faits.