samedi 26 novembre 2011

L'histoire des historiens Bossuet et Saint-Simon par Jean-Michel Delacomptée


Jacques-Bénigne Bossuet, Musée du Louvre

 «  Par le secours de l’histoire, ils forment leur jugement ». C’est ainsi que Jacques-Bénigne Bossuet adjoint aux princes de connaître l’Histoire.  Le précepteur de Louis de France, fils de Louis XIV, tout emplit d’une connaissance encyclopédique, père de nombreuses conversions, adulé pendant plus de trois siècles après sa mort, n’est cependant plus dans l’Histoire que notre époque a retenu.
Une Langue Morte, celle de Bossuet, Jean-Michel Delacomptée s’interroge. Les sermons et autres discours sur l’Histoire du prêtre sortent du temps par l’universalité du propos, d’où la fonction pédagogique à usage du Dauphin s’efface pour s’adresser au plus grand nombre. 
Malgré l’érudition historiographique et la qualité évidente de la conduite spirituelle de ces textes,  notre intérêt pour eux s’est amoindri. A qui la faute ? Est-ce l’état ambiant de stupeur intellectuelle  dont souffre notre temps, ou alors le désintéressement persistant envers toute forme de métaphysique qui est en cause? Les deux raisons semblent jouer. Mais comment alors redonner le goût à nos contemporains pour Jacques-Bénigne Bossuet ?
Jean-Michel Delacomptée propose un détour astucieux qui s’appuie sur un défaut,  et pas des moindre, de notre temps, et que l’on pourrait abusivement nommer, voyeurisme. Entendez par là notre goût pour toutes les affaires privées des personnes célèbres. Ainsi, l’auteur tire un portrait intime du prédicateur dans une langue rebondit et généreuse d’intrigues dont la richesse historiographique semble tout droit sortir d’un récit de Saint-Simon.
C’est d’ailleurs avec ce deuxième auteur que Jean-Michel Delacomptée nous offre une nouvelle démonstration de ses talents d’historien. La grandeur de Saint-Simon, face à la médiocrité des intrigues de la Cour de Louis XIV, ne doit pas caché les états d’âme d’un homme pour qui la nature ne fut pas généreuse et dont l’esprit n’en fut pas moins grandiose.
Deux historiens historiés avec talent, c’est le programme que nous propose Jean-Michel Delacomptée et que nous ne saurions que trop vous conseiller.
Pour agrémenter ces lectures, n’hésitez pas également à découvrir la courte, mais piquante lettre de Fénelon adressée à Louis XIV, que les éditions Bartillat ont eu la bonne idée de rééditer dernièrement.

A lire :
A écouter :

lundi 7 novembre 2011

Mélodies de la Mélancolie, Patricia Petibon, 5 novembre 2011, Salle Pleyel


Le titre est erroné, ou presque. Gardons les Mélodies de la Mélancolie, de Nicolas Bacri. Habituée des explorations musicales et des effets théâtraux, la soprano colorature avait su nous séduire par ses interprétations vivantes  et pleines d’énergie d’Offenbach, Gluck ou encore Mozart*. La voix particulière, qui prend toute son ampleur dans les registres les plus aigus, peine à convaincre dans le médium. Certes la démarche est intéressante, et il semble qu’un programme de musique espagnole ait pu convenir à la chanteuse. La présence sur scène et la poigne sont là, la voix, elle, n’est vraiment pas à l’aise. Dommage.
Certes, le début de cet article ne dresse pas un bilan très positif, n’en déplaise aux fans de la chanteuse qui étaient venus en nombre à la salle Pleyel et qui ne partagent peut-être  pas mon opinion. Alors, rattrapons cela et parlons de ce qui était positif dans ce concert. A savoir, la première française des Mélodies de la Mélancolie de Nicolas Bacri. Ces quatre chansons, spécialement composées à la demande de Patricia Petibon pour apparaître dans son dernier album, ont eu de quoi séduire.
Tout d’abord, la voix de la chanteuse était (enfin) dans son registre. Ensuite, le compositeur n’a pas manqué à sa parole et nous a effectivement dépeint un portrait de la mélancolie très convaincant. A la mar (A la mer) ; Silencio mi niño (Tout doux, mon enfant), Hay quien dice (Certains disent), Sólo (Seulement), on ne peut pas être plus dans le sujet.

Pour cela, le compositeur utilise des procédés simples, mais efficaces. Arrêtons-nous un peu sur la première mélodie A la mar. Le mouvement ternaire perpétuel sur deux accords nous emporte sur la surface ondulante de l’eau. On y retrouve le procédé d’écriture de Bach, dans le premier mouvement de la Passion selon Saint-Jean. C’est également le cas pour les cris de la soprano, qui s’approchent des premiers « Herr » de la Passion. Cri de l’Homme impuissant face au cycle de la nature qui l’emportera. Bacri simplifie le continuo, et pousse le naturalisme jusqu’à nous faire entendre un cri de la mouette su un iAy (Hélas) qui nous prend aux tripes. On se retrouve sur le dos de Jonathan Livingston le goéland, tel que le décrit Richard Bach (encore un Bach) dans son livre du même nom, savourant jusqu’à l’ivresse la liberté des airs, le cœur serré d’être seul à goûter ce délice. C’est poignant et splendide.
 L’influence est tout autre dans Hay quien dice. L’écriture est résolument plus moderne. Le chant se rapproche plus de celui d’une Lulu de Berg (rôle que Patricia Petibon a d’ailleurs brillamment incarné récemment dans la mise en scène d’Olivier Py). La détresse sur vergüenzas, crueldades en cuentas de amor est puissamment délicieuse.
Ces démonstrations de chant et d’expressivité vocale réconcilient avec le reste du concert. L’audace musicale de Patricia Petibon peut donc produire le meilleur comme le pire. Jetons le pire, gardons le meilleur et espérons que le prochain programme sera plus en adéquation avec la très belle, mais aussi très exigeante voix de la soprano.

* Voyez par exemple l’enregistrement de l’air de la reine de la nuit de La Flûte Enchantée de Mozart, chantée par Patricia Petibon, que l’on retrouve dans son album Amoureuses.







dimanche 6 novembre 2011

A la recherche des Mays de Notre-Dame de Paris



Qui n’a jamais rêvé de découvrir un chef-d’œuvre au coin d’une pièce oubliée ? Qui n’a jamais eu envie d’identifier la toile d’un grand maître dans une chapelle sombre ? Nous sommes beaucoup à rêver à de telles découvertes. Et si je vous donnais la piste d’une grande chasse au trésor, qui commencerait dans la plus fameuse des cathédrales, Notre-Dame de Paris.
Le Crucifiement de Saint-Pierre, Sébastien Bourdon,
Notre-Dame de Paris, 1643
L’objet de notre recherche : 23 huiles sur toile de plus de 10 mètres de haut ayant pour thème des scènes des Actes des Apôtres, peintes par les meilleurs artistes du XVIIe siècle.
Si vous cherchez de quoi je parle, allez à Notre-Dame de Paris, franchissez les barrières des premières chapelles latérales sud, et contemplez. Ces grands tableaux poussiéreux et mal éclairés que vous avez devant vous sont des Mays. Vous en avez 13 dans la cathédrale. Peut-être n’en avez-vous jamais entendu parler. Et pourtant, ce sont des chefs-d’œuvre, injustement oubliés.
L’ensemble des Grands Mays de Notre-Dame de Paris était composé de 76 toiles, mesurant toutes plus de 10 mètres de haut, réalisées entre 1630 et 1707. Parmi les peintres qui ont réalisés ces toiles, vous retrouvez nombre des plus grands noms de la peinture du XVIIe siècle, Laurent de la Hyre, Charles Poërson, Eustache le Sueur, Noël Coypel, etc.
Les tableaux étaient commandés par la confrérie des orfèvres, et étaient offerts en cadeau en dévotion à la Vierge Marie le premier mai de chaque année. L’emplacement actuel n’est pas leur emplacement d’origine. Dès 1630, chacun des Mays était accroché en surplomb des colonnes des grandes arcades de la nef et du chœur. 

Imaginons alors l’effet rendu à l’intérieur de la cathédrale. Toute le long de la nef se déployait un cycle de toiles majestueuses relatant l’histoire des premiers apôtres. Nous sommes bien loin des murs nus qui ne montrent que la pierre, que l’on peut voir actuellement. Le thème choisi et la façon de le représenter était une exhortation à s’engager pour la propagation de la Bonne Nouvelle, tout comme les premiers disciples le firent, jusqu’au martyre.
Les toiles présentes dans la cathédrale étonnent par leur dynamisme. Les compositions sont extrêmement complexes et reposent sur les mouvements de spirale et des gestuelles éloquentes. Ce sont de pures manifestations de dramatisme baroque, qui peuvent s’apparenter par leur expressivité aux sculptures du Sacri Monti du Nord de l’Italie.
Chacune des toiles mériterait une étude approfondie, or, voilà le problème, vingt-trois des Mays ont disparus, les autres sont répartis dans différents musées français, ceux de Notre-Dame de Paris, sont, disons-le, dans un état déplorable. Qui en effet à encore le souci de ces tableaux ? Quand on sait que le visiteur lambda n’a qu’une idée en tête, voir Quasimodo. C’est tout juste si les touristes ont envie d’entendre parler d’édifice religieux quand ils entrent dans la cathédrale. Et pourtant, quand je vais à Notre-Dame et que je m’installe pour un temps devant un des Mays pour le contempler, à chaque fois une dizaine de visiteurs s’arrêtent et regardent avec moi. Il suffit parfois seulement d’orienter le regard.
Pouvons-nous nous aussi orienter nos regards vers ces tableaux ? Tenter de retrouver les Mays disparus. Faire enfin une étude approfondie sur le sujet et proposer un ouvrage documenté et accessible. Malgré tous mes efforts, je n’ai trouvé pour le moment qu’un seul ouvrage sur le thème, un catalogue d’exposition du musée d’Arras datant de 1999, uniquement disponible d’occasion*. Il constitue une belle introduction (quand vous avez réussi à vous le procurer) qui souligne toutefois à plusieurs reprises l’état lacunaire des connaissances que nous avons sur le sujet.
Est-ce ainsi que nous rendons hommage au plus grand cycle de peinture religieuse française de la période baroque ?  Vous en conviendrez que cela est un peu léger. Les festivités pour les 850 ans de Notre-Dame de Paris sont en préparation. Un grand livre sur Notre-Dame de Paris est en cours. Les travaux de restauration et d’embellissement de la cathédrale ont déjà commencés. Est-ce que quelque chose a été prévu pour enfin mettre en valeur les grandes toiles oubliées ? Nous verrons bien en 2013. En attendant, gardons les yeux ouverts, et si jamais vous pensez avoir trouvé un des Mays disparus, faites-moi signe !

Vous trouverez quelques informations ainsi que les reproductions d’une partie des Mays présents dans la cathédrale sur le site de Notre-Dame de Paris
*Les Mays de Notre-Dame de Paris, Musée des Beaux-Arts d’Arras, 1999, ISBN : 2 910205 07 X